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Interview de Denis Cristol
En matière d’acquisition des savoirs, un nouvel horizon a été ouvert dans les années 2000 : de l’élève à l’apprenant, de la formation à l’apprenance. Apprendre en devenant acteur de l’acte pédagogique. Mais qu’implique l’apprenance ? Et quel est l’impact de l’innovation technologique sur les modes ou méthodes d’apprentissage ?
Directeur de l’ingénierie et des dispositifs de formation du CNFPT, également chercheur associé au CREF de Paris Ouest – Nanterre [1], Denis Cristol partage son expertise.
Tout est parti de la notion de rapport au savoir, celle d’apprenance ayant ensuite été théorisée notamment par le professeur Philippe Carré de l’université Paris Ouest Nanterre. En 2005, il annonce dans un ouvrage le glissement d’un monde administré, sous régulation des partenaires sociaux, à un monde davantage fondé sur la libre coopération entre les individus. Dans cette perspective, l’apprenance est un auto-saisissement de soi pour évoluer dans la société. L’acte d’apprendre passe par le vouloir, le savoir et le pouvoir apprendre.
À ces trois dimensions, s’ajoute désormais celle du pourquoi apprendre. Pour de nombreux apprenants, apprendre répond à la nécessité d’un engagement social, pour la planète ou de proximité. Il concerne aussi l’autre.
Les nouvelles technologies stimulent l’innovation pédagogique mais ne la résument pas. Dans le secteur musical, la dématérialisation et la numérisation ont permis de « retranscrire » le vinyle mais aussi, de faire du mixage et de recomposer les morceaux. Les formateurs utilisent les mêmes schémas et testent des bricolages ingénieux. Pour la pédagogie, l’idée est de :
D’un côté, les formateurs deviennent des facilitateurs, coachs ou mentors. Ils explorent de nouveaux écosystèmes d’apprentissage sous forme de communautés, en instillant davantage de réflexivité dans les situations partagées. De l’autre, les apprenants construisent du savoir plutôt que de simplement le recevoir.
On a toujours appris de façon expérientielle ! Mais l’institutionnalisation de la formation – qui a donné de la visibilité, des moyens, des méthodes – l’a réduite à la notion de stage. Nous redécouvrons que l’on apprend de son expérience, en situation de vie ou de travail, tout au long et au large de sa carrière. Quand on met en réflexivité ces différentes situations, elles deviennent apprenantes.
Le concept même « d’apprenance » effraie certains dirigeants ou éditeurs ! La pédagogie puise à de nouvelles sources comme l’open innovation, le design thinking… Mon objectif est d’en rendre compte en apportant des définitions aussi simples que possible, tout en explorant :
Ayant observé et rencontré ce type de communautés, notamment au Québec, j’ai expérimenté leur approche via un cercle d’apprentissage, Apprendre ensemble. Quel que soit leur institution ou leur statut, des personnes se réunissent pour « apprendre à apprendre ensemble ». Cette capacité à se mobiliser, à se doter de programmes de connaissances et à apprendre les uns des autres en toute liberté, est fascinante !
Les neurosciences documentent ce que les anciens formateurs connaissaient souvent intuitivement ; la neuro-pédagogie se nourrira de plus en plus de ce décryptage du cerveau. Déjà, le lien entre émotions et apprentissage a été mis en évidence, les motivations à apprendre, les axes d’amélioration de la mémorisation. Cela conduit les pédagogues à se focaliser sur l’attention des apprenants plutôt que sur la seule intention pédagogique. Le cerveau a besoin d’une grande variété d’interactions pour produire de la dopamine, un neurotransmetteur qui alimente le circuit de récompense et augmente la persistance dans l’apprentissage. Il est ainsi conseillé :
Entre autres !
Je vais en citer trois, majeures.
Sans parler des IA de nouvelle génération [3] – sortes de « pédago-bots » qui nous permettront de cliquer notre environnement – et des blockchains, fiabilisées, garantissant que les certifications d’une personne sur un réseau social, ou toute forme de traçabilité numérique, lui donnent un niveau Master par exemple. En résumé, le nouvel apprentissage sera M.A.L.I.N : mobile, actif, libre, informel et numérique. Et l’acquisition des connaissances doit se nourrir d’altérité, d’empathie, de confiance en soi. Car ne l’oublions pas : notre façon d’éduquer, de former, d’enseigner, façonne directement le monde dans lequel nous vivons.