Management bienveillant : mettre l’humain au cœur de toute décision

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La bienveillance appliquée au management, quelle belle initiative ! Ouvrages dédiés, articles, posts sur les réseaux sociaux, le sujet interpelle et séduit. Pas sûr toutefois que le concept de management bienveillant, et ses pratiques associées, soient précisément identifiés… Dialogue avec Gaël Chatelain-Berry, qui invite à viser le FeelGood Management pour que chaque partenaire de la relation managériale se sente BIEN.  

Ex-manager dans de grands groupes média, vous êtes désormais conférencier et consultant, auteur et chroniqueur. D’où vient votre engagement en faveur du management bienveillant ?

Tout s’est fait de manière assez intuitive. Lorsque j’étais moi-même manager et que j’en encadrais d’autres, j’ai observé la difficulté de garder son calme, d’être à l’écoute de ses collaborateurs, quand on exerce ce type de fonction. Quelques années plus tard, quand j’ai commencé à écrire des livres, à faire des conférences, l’ampleur de ces problématiques m’a saisi ; la France se classe n°2 mondiale du burn-out, avec plus de 10 % des salariés qui le vivent, l’ont vécu ou le vivront ! Sans parler d’autres fléaux telles que la démotivation ou la perte de confiance, lesquelles génèrent de l’absentéisme, du présentéisme, etc. La responsabilité du management à cet égard est très grande. Il y a là une urgence absolue. Or il n’existe pas de grande « théorie » du management par la bienveillance. Il y a 5 ou 6 ans, en conceptualisant ce que l’on appelle désormais le management bienveillant, j’ai agrégé des principes ou leviers qui reposent sur le bon sens. Je reste d’ailleurs surpris que ce ne soit pas une évidence pour 100 % des managers…  

Le management bienveillant se structure autour de principes de bon sens. Mais quel est son socle ?

Cela tient je crois en une phrase : Ne jamais faire à nos équipes ce que l’on n’aimerait pas que notre propre boss nous fasse. Si l’on applique cela, on est un bon manager dans 99 % des cas. Vous avez peut-être en tête des exemples de managers qui hurlent sur leurs équipes ou envoient des mails la nuit ; intellectuellement, c’est difficile à comprendre… Et pourtant, visiblement, le monde de l’entreprise « tolère » ce type de comportements. Si de nombreux managers subissent une pression constante, personne ne les a obligés à exercer cette fonction ! Durant de longues années, le fait de devenir manager était présenté comme une finalité de carrière. Résultat : de nombreux collaborateurs le sont devenus malgré un déficit en compétences humaines. Et parmi ceux qui exercent cette fonction actuellement, beaucoup ont été propulsés sans avoir été formés. Selon moi, il y a toutefois une bonne nouvelle : seuls 20 % des Y et Z [1] souhaitent devenir managers. Or, dans les organisations, les lignes managériales représentent entre 13 et 15 % de l’ensemble des collaborateurs. Conclusion : les jeunes collaborateurs qui le deviendront dans les années à venir seront probablement ceux qui disposent de réelles qualités à cet égard.  

Revenons sur la notion de bienveillance, définie par Aristote comme le fait de « souhaiter le bien de l’autre ». Est-ce valable en entreprise ?

Il s’agit surtout de mettre la chose humaine au cœur de toute décision. Dans ma carrière, il m’est arrivé de devoir licencier des gens. Il y a deux façons de procéder : 1) appeler le DRH en lui demandant de convoquer le collaborateur et de le virer 2) prendre rendez-vous avec le collaborateur, lui expliquer pourquoi ce choix a été fait (en raison d’un contexte économique défavorable par exemple) tout en l’assurant de sa valeur humaine et professionnelle. Et bien sûr, accompagner ce licenciement. Une collaboration n’est pas un « dû » pour l’entreprise ou le manager.  

Avez-vous le sentiment que les principaux intéressés soient conscients des dérives ?

Aucun parent ne se considère comme un parent maltraitant et pourtant, il y a des enfants battus. Le même principe s’applique au management ; aucun manager ne se déclare manager « malveillant » – mais le burn-out est une réalité pour plus de 10 % des collaborateurs en France. Lorsque j’explique que la bienveillance passe par de petites choses comme le fait de dire bonjour à ses collaborateurs le matin, cela fait écho à un point saisissant. Quand j’étais petit et que j’arrivais chez une commerçante avec mes parents, ils me demandaient de dire bonjour à la dame. On a l’impression qu’une fois les murs de l’entreprise franchis, le fait de disposer d’un pouvoir autorise l’adoption de comportements asociaux. En matière de QVT, il a fallu attendre les vagues de suicide chez France Telecom et Renault, en 2008, pour que les entreprises françaises s’intéressent au bien-être de leurs salariés, dans toutes ses dimensions. La QVT entre progressivement dans leur ADN, avec le travail sur la marque employeur – un enjeu stratégique majeur au regard de leur attractivité et de leur capacité à retenir les talents. Un exemple significatif à l’étranger : pour résoudre ses problématiques de recrutement, EY Australie propose désormais à ses collaborateurs 12 semaines de « congés de vie », à utiliser par tranches de 6 semaines ou en une fois !  

Pour déployer le management bienveillant, la culture managériale, voire la culture d’entreprise, doivent évoluer en parallèle n’est-ce pas ?

Tout-à-fait. Dans les grands groupes, il n’est plus possible pour un manager de dire à un jeune diplômé que, tous les vendredis, une réunion sera planifiée à 19h30 ! Ni d’agrémenter le départ à 17h d’un salarié qui va chercher ses enfants d’un « Ah, tu as pris ton après-midi ! ». S’il y a là une dimension comportementale, cela touche également aux critères de « reconnaissance » de la valeur d’une collaboratrice ou d’un collaborateur. Sachant que la France est l’un des seuls pays européens dans ce cas. Même dans les start-up qui, en contrepartie de soirées fun le jeudi soir, demandent à leurs jeunes recrues de rester jusqu’à 22h les autres jours, ça ne fonctionne plus [2] ! Remontons dans le temps. La génération des Trente Glorieuses avait une relation très respectueuse à l’entreprise, les rapports étaient hiérarchisés et l’organisation assurait une « protection » à l’égard de ses salariés. Ma génération a découvert le sida et le chômage, elle s’est aperçue que « sa » réalité était en décalage complet avec celle de ses parents. Désabusée, elle a élevé des enfants qui regardent le monde de l’entreprise comme un endroit « assez peu sympathique ». En parallèle, la digitalisation a bouleversé les modes d’organisation du travail, en termes d’interactions et d’espace – avec le télétravail notamment [3]. D’ailleurs, des études montrent que l’avenir du travail ne sera pas d’aller au bureau tous les jours mais de travailler de partout, en choisissant ses horaires. Dans ce contexte, la transformation managériale n’est plus une option pour les organisations ; c’est leur UNIQUE choix.  

Qui dit transformation dit « acculturation ». Faut-il envisager des plans de formation massifs au management bienveillant ?

Pourquoi le management bienveillant ne s’apprendrait-il pas ? C’est comme au piano : chacun est en mesure d’acquérir les bases et de progresser. D’autant qu’il n’est pas compliqué de structurer son approche autour de la bienveillance. C’est l’un des messages clés que j’essaie de transmettre à travers mes livres, conférences, articles, podcasts, etc. Néanmoins, le chemin est encore long : au stade actuel, faire en sorte qu’un manager n’arrive pas en retard à la réunion qu’il a lui-même fixée avec son équipe, constitue en soi un objectif… Pour les personnes motivées désireuses de faire évoluer leurs pratiques managériales, différentes « actions » présentent un intérêt. Y compris lorsque l’organisation n’est pas motrice en la matière Un exemple : un manager va demander à son équipe de répertorier les points positifs de son management ainsi que ses axes d’amélioration. Tous les collaborateurs devront trouver des compromis sur ces points, avant qu’une restitution ait lieu. La libération de la parole est clé. Idem avec l’entretien annuel : qui, dans sa vie personnelle, attendrait plusieurs mois avant d’évoquer le comportement inadéquat de son compagnon ou de sa compagne ? Cela se passe pourtant ainsi dans les organisations. Dans cette perspective, des applications comme OurCo permettent aux collaborateurs de partager leurs ressentis au travail (anonymement s’ils le souhaitent) et aux managers ou RH, de suivre des indices de bien-être ou de créer des sondages pour apprécier des situations de façon ciblée. Il subsiste beaucoup trop de non-dits en entreprise. Le fait d’exprimer ses frustrations, son mal-être – ou son bien-être ! -, de partager ses difficultés ou réussites, change la donne. La confiance se génère et s’entretient ainsi. Tout comme l’attention à l’autre, qui constitue la boussole d’un management bienveillant.  

Une bonne connaissance des leviers de motivation des collaborateurs permet sans doute, également, de nourrir ce mode de management valorisant ?

Le rôle d’un manager est effectivement de réussir à donner du sens au travail de chacun. Dans le cadre des séminaires managériaux que j’anime, je demande aux personnes présentes si elles vérifient régulièrement les raisons qui poussent leurs collaborateurs à venir travailler chaque jour. Si certains salariés le font « pour payer leurs factures » et uniquement pour cela, il y a un vrai problème ! Chaque personne peut avoir des motivations différentes. Cela rend, de fait, la fonction de manager relativement complexe. Et réellement passionnante !  

Le management bienveillant est l’avenir du management : confirmez-vous votre propre formule ?

Je répondrais à cette question par une autre : y a-t-il un avenir au management malveillant ? Qui souhaite travailler dans une entreprise revendiquant le fait d’être malveillante ? Revenons aux cabinets d’audit. Sur le marché, on trouve les Big 4 (PwC, Deloitte, EY, KPMG) et des cabinets comportant de 10 à 200 collaborateurs. Actuellement, ce sont ces cabinets-là qui recrutent le plus facilement car ils ont réussi à réaménager leurs locaux, à transformer leurs modes de fonctionnement en adaptant les horaires notamment. Dans les grands groupes, l’évolution de cette « mécanique » est beaucoup plus délicate. Les candidats font clairement le choix de la QVT – et celui de la performance économique car celle-ci n’est pas inférieure, proportionnellement, dans des structures plus modestes. Aucune organisation ne peut désormais l’ignorer.

[1] 20% des générations Y et Z.

[2] Les jeunes diplômés sont de plus en plus nombreux à délaisser les grands groupes et les start-up au profit du statut de travailleur indépendant, d’autres choisissant d’aller travailler à l’étranger. Si la prise en compte effective de l’équilibre vie pro-vie perso reste problématique, les jeunes générations n’acceptent plus de « renoncer » à leurs envies et besoins personnels.

[3] Malgré un retard en matière de télétravail (67 % des Français y sont favorables mais seules 17 % des organisations ont signé un accord dédié), la situation évolue peu à peu dans les entreprises françaises.

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