Égalité femme-homme : quel est l’état des lieux du sexisme en entreprise ?

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Pour faire écho à la journée internationale du droit des femmes le 8 mars dernier, nous avons consulté le 2e rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France, publié par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE). Quelle a été la prévalence des manifestations sexistes en entreprise, en 2019 ? Quel niveau de tolérance sociale observe-t-on à leur égard ? Comment passer du stade du constat à celui de l’action, constructive, en faveur de l’égalité femme-homme réelle ? Éléments de réponse. 

 

Viser l’égalité femme-homme en entreprise quand celle-ci apparaît comme « un haut lieu du sexisme [1] », un vrai challenge

En 2019, les termes sexisme et violences sexistes et sexuelles ont été au cœur du débat public [2]. Ceci sous la double impulsion de la société civile, les associations féministes ayant appelé à « témoigner » des violences faites aux femmes, et des pouvoirs publics [3]. Un décompte tragique des cas de féminicides a par ailleurs été enclenché. En parallèle, l’arsenal juridique a été renforcé avec la création de nouvelles infractions (outrage sexiste) et l’élargissement de la notion de harcèlement sexuel au pénal. Au-delà de ce cadre sociétal, que nous dit le rapport du HCE sur la réalité des pratiques sexistes en entreprise ? Extraits :

  • Selon une étude de l’Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail[4], 46 % des femmes ont fait l’objet de sifflements, de gestes ou commentaires grossiers, de regards déplacés, en 2019 ;
  • 37 % ont subi des remarques gênantes sur leur tenue ou leur physique ;
  • 18 % se sont vues imposer des contacts sur une zone génitale ou érogène (mains sur les fesses, étreinte ou baiser forcé…).

En parallèle, 80 % des Françaises s’estiment « régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes » en entreprise, selon une consultation de 2016 du Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Dès lors, l’égalité femme-homme est-elle vouée à rester une simple perspective dans le monde professionnel ? De nombreuses évolutions et initiatives sont en cours. Citons notamment : – Du point de vue juridique =>

  • L’ajout de l’interdiction de tout agissement sexiste dans le Code du travail (loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi) ;
  • L’obligation de prise en compte et de suivi au sein des entreprises, des faits de harcèlement moral / sexuel et des agissements sexistes (loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels) ;
  • L’apparition de la notion d’outrage sexiste, qui s’applique également au milieu professionnel ;

– En termes d’obligations faites aux entreprises, via la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 =>

– En termes d’accompagnement des entreprises et de mise en réseau de celles-ci sur ces questions =>

  • L’élaboration de kits pour lutter contre le sexisme, dans les systèmes de classification ou dans les procédures de ressources humaines notamment, par le CSEP ;
  • Une série de webinars de l’Anact, qui visent à « outiller » les RH, les membres du CSE et les référents harcèlement sexuel et agissements sexistes ;
  • Des outils « clés en main » conçus par le collectif #StOpE (pour Stop au sexisme en entreprise) via la signature d’une charte d’engagement[5] et un livret de bonnes pratiques.

Il s’agit notamment de former de façon ciblée sur les obligations et les méthodes de lutte contre le sexisme ordinaire, d’inciter l’ensemble des salariés à contribuer / prévenir / identifier les comportements sexistes et à réagir face à ces pratiques, de sanctionner les comportements répréhensibles et de communiquer sur les sanctions associées. Toutefois, et alors même que les entreprises doivent désormais publier leur Index de l’égalité professionnelle, l’ensemble des actions engagées jusqu’à présent n’a pas permis d’atteindre l’égalité femme-homme réelle.  

Un sexisme « banalisé » dans l’enseignement supérieur

Dans la définition proposée par le HCE en 2018, le sexisme apparaît comme « une idéologie qui repose sur l’infériorité d’un sexe par rapport à l’autre ». Il se caractérise notamment :

  • par des manifestations en apparence anodines – remarques, plaisanteries ;
  • par des représentations stéréotypées imprégnant les normes sociales en vigueur ;
  • par des atteintes à l’autonomie des femmes – entrave à l’avortement, non partage de la charge domestique, entre autres ;
  • par des délits (agressions sexuelles telles qu’attouchements ou caresses imposées) et des crimes (viols, meurtres).

Ces manifestations visent à « délégitimer, stigmatiser, humilier ou violenter les femmes », avec des conséquences telles qu’une perte de l’estime de soi, des problèmes de santé psychique et physique ou des modifications comportementales. Le rôle de l’éducation apparaît donc clé. Si la sensibilisation doit commencer dès l’école primaire (voire maternelle pour les stéréotypes de genre [6]), quelle est la situation dans l’enseignement supérieur ? Le rapport du HCE qualifie les écoles d’ingénieurs de bastions « virilistes ». En effet :

  • 63 % des étudiantes disent avoir déjà subi directement, ou avoir été témoins, de violences verbales sexistes ou sexuelles.
  • 10 % d’entre elles déclarent avoir été agressées sexuellement.
  • Les remarques sexistes du type « Si vous êtes là, c’est à cause des quotas de filles », prolifèrent.

Dans les grandes écoles, le sexisme ordinaire et les violences persistent également, que ce soit lors de bizutages ou via les clubs de sport (majoritairement masculins), les soirées étudiantes, le BDE, les associations étudiantes. Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche émérite CNRS au CEVIPOF, avance une explication : « Ces jeunes étudiants, formés à avoir les plus hautes responsabilités de demain, entretiennent un sentiment de pouvoir en perpétuant ces traditions ». De nombreuses mesures ont pourtant été mises en place dans l’enseignement supérieur et la recherche : recommandations aux directions d’établissements en matière de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (dont la « tolérance zéro » et la mise en place d’un dispositif pérenne de prévention) ; création d’une cellule d’accueil et d’écoute dans chaque université ; formation et sensibilisation des agents des CROUS à l’égalité femme-homme – d’ici 2020.  

Le HCE formule des recommandations pour lutter contre les pratiques sexistes en entreprise et favoriser l’égalité femme-homme

Sans entrer dans l’exhaustivité des suggestions, voici une sélection visant à actionner différents leviers, en amont du monde du travail et au cœur de celui-ci. Le HCE recommande tout d’abord de favoriser une orientation scolaire et professionnelle sans stéréotypes de sexe, dès le plus jeune âge. L’action conjointe de l’État, des écoles d’ingénieurs et des entreprises s’avère requise. Pour prolonger cette phase « amont », des initiatives de sensibilisation à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles pourraient être intégrées dans les conventions-cadres régissant le statut et les conditions des stagiaires scolaires (3ème) et universitaires. Au regard des entreprises, la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail devrait être rendue obligatoire. Elle figurerait dans le Code du travail, au sein du domaine « sécurité et santé au travail » de la négociation en matière d’égalité professionnelle. Chaque structure devrait aussi être incitée à faire connaître la nature et le nombre de sanctions prises en cas de violences sexistes et sexuelles, ainsi que le taux de suivi par rapport aux signalements. Si cette démarche volontaire s’avérait peu adoptée, cette disposition pourrait être intégrée par voie légale. Autre point clé : le statut des référents harcèlement sexuel et agissements sexistes doit être renforcé. Il s’agit notamment de préciser leurs missions et d’intégrer dans leur formation obligatoire un module sur les violences sexistes et sexuelles. Du côté des pouvoirs publics, obligation pourrait être faite au gouvernement de présenter un rapport au Parlement, tous les trois ans. Cela permettrait d’évaluer l’ensemble des dispositions légales visant les entreprises pour lutter contre les violences sexistes ou sexuelles : formation, prévention, règlement intérieur, référents harcèlement sexuel et agissements sexistes, obligation d’affichage, négociation sur la sécurité et la santé au travail, etc.   Dans le monde professionnel, la mutualisation des bonnes pratiques et le renforcement de l’encadrement juridique sapent lentement mais sûrement les fondements du sexisme. Qu’on se le dise : désormais, la honte n’est plus du côté de celles qui subissent des discriminations et des violences. La marche vers l’égalité femme-homme réelle s’avère inexorable. Haut les cœurs !   Source : 2e rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France en 2019, publié le 2 mars 2020 par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes. La loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a inscrit cette évaluation annuelle dans les compétences du HCE.   

[1] Formule extraite du rapport du HCE.
[2] Depuis près de 30 ans, des actions de lutte contre les discriminations à caractère raciste, antisémite et xénophobe ont été engagées. L’évaluation du sexisme en France remonte quant à elle à 2018, avec le 1er rapport annuel du HCE.
[3] L’ensemble des acteurs ont été réunis dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, à l’initiative du gouvernement d’Édouard Philippe.
[4] Rapport Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes – FEPS.
[5] Fin 2019, 56 grands groupes ont signé cette charte.
[6] Les divers milieux de socialisation ainsi que l’entourage proche des enfants construisent les ressorts du sexisme et des rôles sociaux de sexe depuis la naissance.

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